Publié le 4 octobre 2009

Nos laiteries en voie d'extinction

Par Annie Morin (Le Soleil)

(Québec) La guerre du lait est impitoyable. Alors que le Québec a déjà compté par dizaines ses laiteries régionales, il en reste seulement six indépendantes à la grandeur du Québec. L'engouement des consommateurs pour l'achat local les garde en vie tant bien que mal et permet même à l'Outaouais d'espérer une naissance. Mais la tendance est résolument à la consolidation.

La fermeture de la laiterie Lamothe de Drummondville, cette semaine, est venue rappeler à quel point il est difficile pour les petites coopératives ou les entreprises régionales de concurrencer des transformateurs ayant des tentacules partout au pays et même à l'extérieur, en l'occurrence Agropur et Saputo.

Malgré un chiffre d'affaires de 25 millions $ et un leadership provincial dans le créneau du lait biologique, ou plutôt en raison de ceux-ci, l'entreprise familiale Lamothe a été acquise par Agropur en mars 2008. Moins de deux ans plus tard, le nouveau propriétaire invoque un déficit et un retard technologique pour mettre la clé dans la porte et congédier les 40 employés qui restaient à Drummondville. La production sera détournée à Québec et dans une des 10 autres usines québécoises d'Agropur restant à déterminer, a précisé cette semaine une porte-parole, Julie Boursiquot.

Pour les rares laiteries indépendantes du Québec qui produisent encore du lait frais  "les Chalifoux, Chagnon, Alma (Nutrinor), La Baie, Trois-Vallées et Royala", cette disparition secoue encore une fois l'arbre des convictions.

Malheureusement, le marché nous squeeze pas mal. Dans le lait de consommation actuellement, ce n'est pas une situation normale, c'est un quasi-monopole parce qu'Agropur contrôle 65 % des parts de marché», explique Denis Chagnon, de la laiterie Chagnon, à Waterloo, en Estrie.

Celui-ci dit assister à une dégradation du contexte d'affaires depuis l'arrivée des laits à longue durée de conservation et spécialisés (oméga-3, enrichi de calcium, avec pro-biotiques, etc.) qui font imploser les achats de lait. La guerre des prix dans les épiceries et les dépanneurs, où les gros joueurs réservent les comptoirs réfrigérés et réduisent leurs marges au minimum, n'aide en rien.

Achat local salvateur

«C'est la demande des consommateurs qui nous garde dans le marché», dit M. Chagnon, qui accueille avec soulagement le retour des consommateurs vers les petites exploitations agroalimentaires. «Ça fait longtemps qu'on frappe sur ces clous-là, l'achat local, l'économie régionale, les produits authentiques», rappelle-t-il dans un soupir.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille oublier la diversification, autre vague de fond du secteur de la transformation. En plus du lait, de la crème et du beurre, les petites laiteries fabriquent donc souvent du fromage, de la crème glacée ou des boissons laitières enrichies. Certaines, comme la laiterie Coaticook et la laiterie Charlevoix, ne font d'ailleurs que ça.  

La fraîcheur est également un argument de vente pour les petits. Louis Roy, propriétaire de la laiterie Royala, à Saint-Joseph-de-Beauce, transforme deux fois par semaine le lait de la centaine de vaches que compte sa propre ferme. Il a donc le contrôle sur toutes les étapes de la production de lait frais, de crème et de laits aromatisés qu'il commercialise. «Pour avoir de la qualité à la fin, il faut de la qualité au départ», dit-il. Une affirmation difficile à prouver et à faire accepter aux clients, admet-il candidement, car ils sont nombreux à croire que «du lait, c'est du lait».

En Outaouais, c'est avec une bonne dose d'indignation que le projet d'ouvrir une nouvelle laiterie s'est mis en branle. Des décideurs et des gourmands locaux n'ont jamais digéré la fermeture de la laiterie Château par Nutrinor en 2006. Trois ans et 2,5 millions $ plus tard, la construction de la nouvelle usine, à la fine pointe de la technologie, est commencée. Environ 10 millions de litres de lait, qui autrefois prenaient la route de Montréal en vrac pour mieux revenir ensachés, seront transformés près de l'aéroport de Gatineau dès cet hiver.

«Même si on offre un beau produit à un bon prix, on doit absolument avoir l'appui des consommateurs qui ont à coeur l'économie régionale et l'environnement», dit Georges Émond, un des actionnaires importants de la laiterie de l'Outaouais, qui compte déjà une coopérative d'utilisateurs. Alors que personne ne croyait possible de reprendre le moindre litre de lait aux joueurs majeurs, Antoine Normand, membre du comité de relance, croit que le combat peut être mené ailleurs au Québec, «pourvu qu'il y ait une population raisonnable et motivée autour».

Michel Morisset, professeur d'économie agroalimentaire à l'Université Laval, ne partage pas cet enthousiasme. «Le lait de consommation est un produit peu différencié, sans grande valeur ajoutée. Les usines performantes sont de plus en plus grosses parce que tout y est automatisé. Les investissements sont énormes» et donc hors de portée des petits transformateurs, résume-t-il. Il vaudrait donc mieux viser des marchés de niche où les gros ne peuvent mettre leurs pieds.